Accueil Magazine La Presse Mondher Almia, ancien keeper du CA Bizertin: «Il m’a fallu cravacher dur !»

Mondher Almia, ancien keeper du CA Bizertin: «Il m’a fallu cravacher dur !»

Mondher Almia n’a pas raté une seule minute de la saga du premier Championnat de l’histoire post-Indépendance du Club Athlétique Bizertin, obtenu haut la main en 1984. Un exemple frappant de régularité et de fidélité pour ce gardien de but, né le 25 mars 1963 à Bizerte et dont le début de l’aventure remonte à la saison 1976-1977 lorsqu’il signa pour le team Ecoles. CA-CAB (2-0) de 1982 a été son premier match avec les seniors, alors que le dernier a été OB-CAB (2-1) en 1995. Le palmarès de cet élégant portier comporte le championnat de Tunisie 1983-1984, la Coupe de Tunisie 1987, la Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe 1988 et la supercoupe de Tunisie 1984.

Ce gérant d’une société privée est marié et père d’un enfant.

Mondher Almia, votre génération a eu l’insigne honneur de donner à la Tunisie sa première coupe d’Afrique. Le CAB s’y est totalement investi à tel point qu’il a fini par en payer chèrement le prix en rétrogradant en D2…

Oui, on était entré dans une «takhmira» (une transe) nommée coupe d’Afrique. En nous réveillant, il était trop tard : le club était déjà relégué. Il faut avouer que la Coupe africaine constituait à nos yeux un grand défi qu’il nous fallait absolument relever. La relégation a pourtant tenu à très peu de choses : un but de différence avec l’Union Sportive Monastirienne nous a condamnés à jouer les barrages contre le Club Sportif d’Hammam-Lif. Puis l’épreuve des penalties qui a souri aux banlieusards, nous envoyant au purgatoire.

Quel souvenir gardez-vous du premier championnat du CAB en 1984 quand vous avez été un acteur privilégié ?

Je me rappelle que trois clubs étaient restés en course jusqu’à la dernière journée: le ST, l’ESS et le CAB.

Pour nous, non seulement il ne nous fallait pas perdre à Sousse, mais il fallait qu’en même temps le ST ne gagne pas face au CA. Dans ce dernier match, certains joueurs clubistes ont carrément levé le pied, alors que d’autres, au contraire, se comportèrent comme des lions: Ben Othmane, Gasmi, Hammami et Chargui. Quatre ou cinq joueurs ont arrêté à eux seuls le ST qui a perdu le nord, ne réussissant pas parfois à marquer devant une cage vide. Pourtant, l’arbitre Mohamed Salah Bellagha a accordé huit minutes de temps additionnel, ce qui était absolument impensable en ce temps-là.

Remontons aux débuts de la saga. Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le foot ?

Mon père Youssef, électricien, n’était pas particulièrement féru de sport. Ma mère, Doriaâ, je lui causais des ennuis puisqu’elle devait laver mes tenues salies par la boue des terrains en terre battue. Mais j’ai eu la force de persévérer et de m’accrocher. Pourtant, mon oncle Habib avait joué gardien bien avant Houcine El Bez.

Tout jeune, quelles étaient vos idoles ?

Attouga et l’Espagnol Luis Arconada.

Avez-vous toujours joué

à ce poste ?

Non, j’ai commencé avant-centre avec les écoles. C’est Hamadi dit Chedly Ouerdiane, notre enseignant de sport, qui m’a découvert à l’école El Maâref.

Et c’est chez les minimes, conduits par Driss Haddad, que j’ai fini par m’installer dans les bois. Il m’a fallu cravacher dur sur une pelouse en terre battue, dans la boue et la poussière. Une fois, c’était une luxation de la clavicule, une autre fois les coudes fracturés, la hanche touchée… Un gardien qui n’a pas consenti de tels sacrifices ne peut pas progresser.

Quels furent vos entraîneurs ?

Chedly Ouerdiane, Boubaker, Bousbih, Driss Haddad, Ali Amri, Abderrahmane Ben Hassine dit «Saborin» chez les jeunes, Youssef et Larbi Zouaoui, Baccar Ben Miled, feu Moncef Melliti, Radojica Radojicic, Ryszard Kulesza, Dragan Vasiljevic et Peter Nadovic avec les seniors.

Quelles furent vos meilleures rencontres ?

En 1986, à El Menzah contre l’Espérance d’Amarildo (0-0), mais aussi en 1988 à El Harrach au premier tour de la Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe : nous avons perdu chez nous 1-0, et avons renversé la vapeur en Algérie en gagnant 1-0, puis aux penalties 6-5. J’ai arrêté deux penalties.

A votre avis, quel est le meilleur gardien de l’histoire du foot tunisien ?

On m’a parlé des anciens keepers cabistes Manoubi Jeddi, Houcine El Bez, Ghazi Limam… Il y eut également Tabka, Abdallah, Abdelwahed, Zitouni, Naïli, Chouchène… Mais je crois que le meilleur s’appelle Attouga, c’est un mythe. Tous les attaquants d’Afrique en avaient peur, il les intimidait. Vient ensuite Chokri El Ouaer qui a fait une belle carrière.

Quelles sont les qualités d’un bon gardien ?

C’est un poste très délicat qui exige beaucoup de qualités: courage, placement, réflexe, clairvoyance, intelligence pour calculer la trajectoire du ballon, rigueur et vigilance. Le portier est un meneur d’hommes car il est tenu de diriger toute sa défense.

Vos meilleurs souvenirs ?

Le championnat de Tunisie 1984 où je n’ai pas raté une seule minute des 26 rencontres disputées, mais également la première coupe africaine que nous avons réussi à apporter au football tunisien..

Et les plus mauvais ?

La manière avec laquelle nous avons perdu le championnat 1992. Les sacrifices de toute une saison étaient partis en fumée alors que c’était «notre» championnat. Déjà, deux journées avant le terme, Mohamed Salah Bellagha, pourtant marié à une Bizertine, nous a fait perdre (3-2) contre le Club Sportif Sfaxien. Il a été évacué à la fin du match dans une voiture de police sans même s’être changé dans les vestiaires. Neji Jouini a été également très faible lors du match décisif contre le CA sur lequel nous avons compté à un certain moment jusqu’à sept points d’avance. Nous disputions en parallèle la coupe de la CAF. Ce jour-là, sur un coup franc provoqué par Sabri Bouhali, je renvoie la déviation de Mhaïssi, mais le ballon revient devant Adel Sellimi qui marque. Le but du titre. Nous avons senti une grosse frustration en raison des productions arbitrales. Je crois que des membres fédéraux ont influé sur la fin du championnat.

En ce temps-là, une prime était

de combien ?

Quelque chose de symbolique : 110 dinars pour une victoire à l’extérieur, 90 pour un succès à Bizerte. Pour le titre africain, nous avons perçu 1.700 dinars. Après avoir remporté le championnat de Tunisie, chaque joueur a touché 750 dinars. Cette année-là, la prime de match était de 30 dinars pour une victoire à domicile, et de 40 loin de nos bases. Mais notre vraie prime, c’est l’amour du club. Chaque fois que nous concédions un nul à domicile, nous ne sortions de chez nous que pour aller au boulot ou aux entraînements. Nous avions honte de nous-mêmes. Aujourd’hui, les joueurs vont dans une boîte de nuit que ce soit les soirs de victoire ou de défaite, ça leur est égal.

Quelle différence y a-t-il entre le foot d’hier et d’aujourd’hui ?

Jadis, le potentiel technique et physique des joueurs était supérieur. Le spectacle était par conséquent nettement meilleur. Et puis, cette plaie des pelouses teigneuses et pelées qui sévit dans tous les stades du pays.

Almia, parlez-nous de votre copieux parcours de dirigeant

Avec le bureau de Saïd Lassoued (2009-2011), nous avons réussi de belles choses en nous appuyant sur les enfants du club encadrés par quelques bonnes recrues : Lamjed Chehoudi, Lassaâd Dridi, Walid Hicheri… Sous la conduite de Larbi Zouaoui, nous avons terminé quatrièmes, ce qui nous autorisait à revenir dans les compétitions continentales. Nous avons compris que nous n’avions pas les moyens financiers des favoris traditionnels, mais que nous avions un capital inestimable, à savoir la formation. J’ai également été président de la section FB avec le président Ezeddine Karoui (2000-2002), et accompagnateur de l’équipe seniors avec les présidents Moncef Ben Gharbia (1996-1998) et Khaled Saâdi (1998-1999).

Que représente le CAB pour vous ?

Beaucoup de choses. La famille que nous devons honorer coûte que coûte en surmontant tous les obstacles. Le club fédère toute la ville. Notre génération restait fidèle jusqu’au bout à un seul club auquel on finissait par s’identifier. Tel un poisson qui ne peut pas vivre ailleurs que dans l’eau, je ne me voyais pas ailleurs qu’à Bizerte. Pourtant, aussi bien l’EST que le ST m’ont sollicité en 1985.

Et la famille ?

C’est la chaleur, la tendresse, la stabilité, là où vous vous sentez entouré d’êtres qui vous chérissent. J’ai épousé Hajer en 1993. Nous avons un enfant, Farès.

Comment passez-vous votre temps libre ?

Je rencontre les amis au café Driba, je fais mon footing trois fois par semaine. Devant le petit écran, je regarde les matches européens, notamment ceux de Barcelone, mon club préféré. Mais j’aime le beau jeu que ce soit en Italie, en Angleterre ou ailleurs.

Que vous a donné le football ?

L’amour et le respect des gens à travers toute la Tunisie. La nature de mon travail de gérant d’une société privée d’importation de matériel fait que je me déplace beaucoup aux quatre coins du pays. De la sorte, j’ai pu mesurer toute la sympathie que l’on porte aux joueurs d’antan.

Enfin, si vous n’étiez pas dans le football, dans quel autre domaine vous vous seriez exprimé ?

Ni dans la culture ni dans la politique. En tout cas, les footballeurs restent des artistes à leur façon sur le rectangle vert.

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